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Non, l’antisémitisme, ce n’est pas l’Islam

Dernière mise à jour : 7 mars 2019

Mohammed Moussaoui, président de l'Union des Mosquées de France (UMF)



Selon un bilan du ministère de l’intérieur publié mardi dernier, les actes visant les juifs (insultes, menaces, dégradations de biens, agressions, homicides) ont augmenté de 74 % en 2018.

Je tiens à réaffirmer avec force que rien, absolument rien ne saurait justifier une telle situation. Les auteurs de ces actes abjects doivent être vigoureusement condamnées, dénoncées et combattus.

Le progrès d’une société et la pertinence de ses valeurs et principes ainsi que la grandeur d’une nation et de son rayonnement se mesurent aussi par l’attention qu’elle prête à ses membres les plus vulnérables.


Sur l’antisémitisme, mieux vaut ne pas avoir les idées trop simples.


Bien qu’aucune étude sérieuse et rigoureuse n’a pu dresser le profil des auteurs de ces actes et de leurs motivations, force est de constater que certains n’hésitent pas à imputer la responsabilité de tous les actes anti-juifs aux musulmans. Une mise en garde du journal Le Monde dans son éditorial, du 12 février 2019, mérite d’être rappelée ici : « Sur l’antisémitisme, mieux vaut ne pas avoir les idées trop simples. Celui qui prend racine dans nos banlieues ne peut être réduit à l’irruption du conflit israélo-palestinien dans le débat franco-français. Complotisme, antiaméricanisme, frustrations sociales : tout est bon pour alimenter la haine du juif, qui vient se greffer sur des « traditions » beaucoup plus anciennes. »

L’objet de cette tribune, n’est pas de réfuter toute implication ou toute responsabilité de jeunes français de confession musulmane dans cette situation dramatique. Nous savons que la religion musulmane a fait l’objet et continue de faire l’objet d’instrumentalisation à des fins abjectes par des extrémistes de tout bord. Ne pas prendre en compte le discours et la rhétorique mortifère de ces extrémistes serait un déni de réalité qui empêcherait de lutter efficacement contre ce mal.

Aussi, il est utile et nécessaire de réaffirmer avec force que la tradition musulmane dans la pureté de ses principes et fondements ne laisse aucune place à la haine de l’autre et à la haine du juif en particulier.


Juifs et musulmans ne sont pas condamnés à l’animosité


Les juifs ont toujours vécu avec les musulmans et ce, depuis l’avènement de l’islam. Cette coexistence a connu des moments glorieux et donné des exemples de coopération intelligente sur le plan scientifique et philosophique au profit de l’humanité toute entière. Les travaux des érudits juifs et musulmans Andalous comme Moshe Ben Maimon (Moïse Maimonide, Abu Imran Mussa Ibn Maymoun) et Ibn Rushd (Averroès) en sont les exemples les plus connus.

Le premier traité régissant les relations entre les musulmans et les juifs au sein de la société Médinoise du 7e siècle Ap.J.C, sous l’autorité du prophète Muhammad (PBSL), stipulait clairement que les musulmans et les juifs de Médine liés par un pacte de défense mutuelle formaient une et même communauté.

Cette coexistence a connu aussi des moments de tension et de conflits. Ces moments relatés dans certains passages coraniques ont pu être détournés de leur contexte historique par les adeptes de la haine à des fins belliqueuses. Les historiens rappellent unanimement que ces situations, loin d’impliquer tous les musulmans et tous les juifs de l’époque, résultaient plutôt de l’alliance de certaines tribus juives, en violation du traité de Médine, avec les forces ennemies déterminées à exterminer les musulmans. En d’autres termes, cette tension, née dans un contexte historique et géopolitique limité dans le temps et l’espace n’avait pas une motivation religieuse.


Face aux fanatiques, rappeler la tradition authentique.


Outre le traité de Médine évoqué plus haut, la tradition prophétique regorge d’exhortations à la bonté envers les gens du livre, dont font partie les juifs. Il est important de noter ici que les imams et prédicateurs pour rappeler aux musulmans leurs devoirs envers les voisins, ils mentionnent presque systématiquement la parole prophétique rapportée dans le célèbre recueil de l’imam El Boukhari « L’ange Gabriel n’a cessé de me faire des recommandations au sujet du voisin, au point que j’ai cru qu’il allait l’imposer comme héritier ». Il se trouve que la version complète de cette parole (que citent volontiers les plus avertis) commence comme suit : « Un jour on a tué un mouton chez Ibn Omar. En arrivant dans sa maison, il demanda (à deux reprises) aux gens de sa famille : Avez vous offert une part à notre voisin juif ? et il ajouta : j’ai entendu l’Envoyé de Dieu dire L’ange Gabriel, etc … ».


Toujours dans son célèbre recueil des hadiths, l’imam El Boukhari rapporte que :


- Le Prophète Muhammad (PBSL) a dit : « Celui qui tue une personne qui a un pacte avec les musulmans ne sentira pas l’odeur du paradis bien que celle-ci puisse être sentie à plus de 40 années de marche ! »[1].


- Qu’au passage d’un cortège funéraire, le prophète de l’islam qui était assis s’est mis debout. Un de ses compagnons lui fit savoir qu’il s’agissait d’une dépouille juive. Le prophète lui répondit : N’est-elle pas une âme ?[2]


- Que le prophète est décédé en laissant son armure en hypothèque pour un prêt qu’il avait contracté auprès d’un commerçant juif. [3]


Ce dernier hadith montre clairement que le prophète de l’islam qui aurait pu emprunter aux riches musulmans à l’instar de son compagnon et gendre Othman Ibn Affane, avait plutôt choisi de s’adresser directement au commerçant juif, laissant comprendre, que dans ses relations humaines, il ne faisait aucune différence entre juifs et musulmans.


Après l’invasion de l’armée mongole et la mise à sac de Bagdad en 1258 et le massacre de plus de 90 000 de ses habitants, des milliers de musulmans, juifs et chrétiens ont été faits prisonniers par les mongoles. Dans les négociations pour leur libération, les mongoles avaient proposé la libération des musulmans et le maintien en détention de leurs concitoyens juifs et chrétiens. Le négociateur musulman a rejeté la proposition et exigé la libération en priorité des juifs et chrétiens.

Plus récemment en 1941, le Maroc, sous protectorat français, appelé par les forces d’occupation françaises de Vichy et des nazis à appliquer les lois discriminatoires de Vichy aux 250 000 juifs du Maroc, le sultan Mohammed V  y a opposé un refus catégorique en rappelant qu’il n’y avaient pas de juifs au Maroc, seulement des sujets. Le roi Mohammed VI à l’occasion de la réception organisée, en 2015, par l’institut mondial d’études juives, Kivunim en l’honneur du Feu le roi Mohammed V, avait déclaré dans un discours lu par son conseiller André Azulay : « Aujourd’hui, nous avons besoin, plus que jamais, de méditer les leçons et la pertinence de cette partie de l’histoire afin de nous lever plus puissamment contre les aberrations mortelles de ceux qui détournent nos cultures, nos religions et nos civilisations, … », avant d’ajouter : « En capitalisant sur la profondeur et la résilience de l’héritage laissé par mon grand-père vénéré Sa Majesté Mohammed V, nous pouvons, ensemble, énoncer pour récupérer les étendues perdues de la raison et du respect mutuel qui ont disparu de nombreuses régions du monde».


Une violence des actes qui nait de la confusion et du désordre des esprits 


Incontestablement, le conflit israélo-palestinien n’a cessé d’être instrumentalisé par les extrémistes de tout bords pour semer la division et la discorde entre juifs et musulmans de France.

Juifs, Chrétiens et Musulmans ont des liens historiques et spirituels forts avec la terre de Palestine. La souffrance des populations de cette région du monde qui aspirent à une paix qui tarde à venir, ne peut laisser personne indifférent.

Cependant, ceux qui prétendent défendre la cause palestinienne en s’attaquant aux juifs de France sont définitivement disqualifiés. Leur attitude outre qu’elle est injuste, lâche et immorale, elle nuit aux intérêts du peuple palestinien et ne sert en rien la paix.

Par ailleurs, le soutien inconditionnel de certains à la politique du gouvernement israélien actuel au point d’accuser d’antisémitisme tout opposant à cette politique est une aberration qui crée la confusion et ne sert pas la paix. Evoquant les concepts d’antisémitisme et d’antisionisme et la confusion qui les entourent, Jacques Attali avait proposé de qualifier l’opposition à la politique du gouvernement israélien d’« antibibisme» en référence au diminutif de Benyamin Netanyahu. Il considère que « rien n’est plus dangereux que la confusion des concepts. En particulier de ceux qui visent à désigner ce à quoi on s’oppose. En général une telle confusion est un préalable au désordre des esprits et à la violence des actes ».[4]

Juifs et musulmans de France, nous avons beaucoup de choses en commun, comme croyants, comme hommes et comme citoyens d’une même patrie. Abraham, Isaac, Ismaël, Jacob, Joseph, Moïse, Aron sont pour nous des mêmes modèles de foi en Dieu l’Unique. Nous avons en commun de nombreux rites et pratiques. Nous vivons une époque marquée par de multiples signes d’angoisse, nous devons nous montrer porteurs de signes d’espérance.


[1] Sahih El Boukhari, hadith numéro 6516

[2] Sahih El Boukhari, hadith numéro 1312

[3] Sahih El Boukhari, hadith numéro 2916 et Sahih Muslim , hadith numéro 1603

[4] Attali.com, Anti-tout, et n’importe quoi.


 

Mohammed Moussaoui, président de l'Union des Mosquées de France (UMF).


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